On en parle souvent comme d’une lubie à la mode. Un truc dont raffolent les entreprises qui ont toujours la manie de baptiser de noms obscurs des pratiques si peu pratiques que personne ne les met en pratique. Mais le reverse mentoring ne mérite pas d’être enfermé dans ces modes aussi durables que des feux de paille.
Car le « mentorat inversé », pour rendre à Molière ce qui n’appartient pas à Shakespeare, ne fait ses preuves – et la démonstration de son efficacité –, que lorsqu’il est pratiqué. L’idée est simple et part du constat que l’on n’apprend pas seulement de ses ainés, mais aussi de ses benjamins. Une évidence qui prend tout son sens à notre époque de millenials, de générations Y et de transformation fondamentale de l’entreprise. Soit. Mais à part une certaine dextérité numérique, que peuvent-ils nous enseigner ces jeunes, à nous, leurs aînés, au-delà du fait d’abandonner le stylo et le carnet pour prendre des notes sur un iPad ?
A l’occasion de l’opération CEO for One Month, organisée pour la 5ème année consécutive, The Adecco Group recherche son CEO d’un mois (pour postuler, c’est ici). L’année dernière, Maxime Le Tellier, étudiant à l’EMLYON, est devenu durant tout un mois l’alter ego de Christophe Catoir, Président France de The Adecco Group. Durant trente jours, ce garçon de 24 ans est entré dans la peau du patron d’Adecco en vivant son quotidien professionnel. Des réunions de codir aux rendez-vous clients, il a pu observer le fonctionnement de l’entreprise depuis son centre névralgique. Et ce qu’il a appris à tous les membres du comité de direction dépasse tout ce qu’un énième guide du Bon usage de la génération X, Y ou Z peut révéler sur eux. Mais aussi sur nous et sur nos méthodes.
Car il a pointé nos zones de différences, en ne prenant parfois aucun gant pour nous livrer son ressenti. A propos de la manière de partager l’information, par exemple. Maxime a remarqué notre style de communication très respectueux de la hiérarchie qui induit deux niveaux de communication. L’un, très officiel et public, et le second plus informel, en « off ». Pour lui qui est de la génération de l’instantanéité, c’est une perte de temps, qui implique des process trop lents. Alors que pour nous, c’est une forme de politesse, une manière de travailler ensemble plus vivable. De la même manière, il ne nous a pas raté sur notre retard bureautique – que connaissent toutes les entreprises. Notre génération est de celle qui a pu utiliser son premier ordinateur au bureau. Il en fut de même avec notre premier téléphone portable. Aujourd’hui, notre PC à la maison va souvent plus vite que celui que nous utilisons au bureau. Parce qu’une flotte informatique d’entreprise est moins facile à protéger qu’un PC domestique, nos entreprises ne prennent pas le risque d’être équipées avec du matériel dernier cri. Tout le monde fait le même constat, dans toutes les entreprises, et tout le monde trouve cela normal. Pas lui. Le Reverse mentoring a cette faculté-là : de mettre en évidence des freins occultés par des années d’habitude.
Ces jeunes nous ont également éclairé sur leurs usages. Celle de la transparence par exemple. Maxime est de la génération habituée à noter ses restos, ses chauffeurs Uber, ses nounous ou ses apparts Airbnb. Selon lui, en entreprise aussi, on devrait pouvoir noter les fonctions supports avec qui on échange ou les supérieurs avec qui on travaille. « Ce qui existe dans le BtoC devrait exister dans le BtoB, » estime-t-il naturellement.
Cette pratique du mentorat inversé en apprend beaucoup aux aînés. En permettant à ses derniers d’enlever des œillères qui peuvent parfois les encombrer. Mais il ne saurait fonctionner sans échange. Et les Millenials qui y ont accès apprennent aussi des pratiques en place. Ils les découvrent parfois et eux aussi trouvent dans cet échange l’occasion d’arracher des œillères, certes différentes, que leur génération s’est glissée sur les yeux.
Il en va ainsi de l’opposition entre startup et grande entreprise. La première symbolisant l’entreprise où toute une génération rêverait de travailler et la seconde celle où les jeunes n’auraient plus envie d’aller pour ne pas avoir à rentrer dans un moule. Cette immersion a permis à ces jeunes de relativiser ces clichés, de constater que l’on ne manœuvre pas un paquebot de 5 000 personnes comme une barque de dix matelots. Et qu’au final, sur les paquebots, il y a aussi des barques. Et que l’intrapreunariat dans une grande entreprise était plus intéressant qu’ils ne l’imaginaient. C’est ce qu’ils ont raconté à leurs camarades via les réseaux sociaux et lors des interviews dans les différents media. Une bonne façon de rétablir certaines vérités et de susciter des vocations.