Laisser les femmes s’occuper seules de faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes en entreprises ? C’est un peu comme si, pour lutter contre la pollution en ville, on laissait les cyclistes se battre seuls contre les automobilistes, sans impliquer ces derniers.
Inutile de se leurrer : sans notre engagement, celui des hommes occupant des postes à responsabilités, les objectifs d’une juste égalité entre les sexes en entreprise resteront incantatoires. Pourquoi ? Tout simplement parce que les hommes sont plus écoutés, leur parole moins moquée. Et qu’on ne les soupçonnera pas de faire prévaloir leur intérêt personnel.
Faute de cette prise en charge masculine du féminisme, nous en resterons aux statistiques connues : 3 femmes dirigeantes seulement parmi les 40 groupes du CAC, pas plus de 12 % de femmes dans les comités exécutifs alors qu’elles représentent 32 % des cadres. Et leur salaire est toujours inférieur de 19 % en moyenne à celui des hommes. Pour changer la donne, la parole est aux hommes. Ou justement, au-delà de la parole, les actes. Répéter que l’on est féministe ne suffit pas.
Et d’abord, de quel féminisme parle-t-on ? De celui qui veut promouvoir les femmes, l'image des femmes et de leur liberté. Une notion basique qu’il convient de répéter et d’appliquer. Et pas seulement au travers de grands principes, de longues chartes et d’engagements pris la main sur le cœur. Mais au travers de petits détails du quotidien que le dirigeant doit appliquer et faire appliquer. Le diable s’y niche souvent au travers d’un vocabulaire particulier, guerrier ou sportif, très prisé des hommes. L’employer n’a rien d’offensant, mais il exclut tacitement les femmes des conversations, des présentations, des réunions. Il en va également des petites blagues entre messieurs qui ne font rire qu’eux. Surtout dans les comités de direction à majorité masculine où elles se veulent toujours sympathiques. Nous l’avons tous observé : le manque de respect envers les femmes crée une complicité entre certains hommes. C’est au dirigeant de donner le la et de s’opposer à ces mauvais réflexes.
Court-on pour autant vers une aseptisation de la vie en entreprise ? Loin de là. Simplement, le temps de la prise de conscience est venu, celui de la fin des dérapages incontrôlés, celui de la fin de la misogynie bienveillante et condescendante.
Évidemment, se contenter de corriger son langage ne suffit pas. Il faut un changement global, du sommet vers la base. Pour y parvenir, pour infuser cette transformation radicale, les dirigeants doivent inventer un féminisme du profit. Un terme sciemment provocateur. Ma conviction est que la seule motivation morale ne saurait suffire à faire avancer l’égalité. Une entreprise n’est pas une ONG, mais un centre de profit. Et les meilleurs arguments sont ceux qu’elle connaît et comprend : des raisons techniques qui impactent le chiffre d’affaires.
A ce titre, de nombreuses études le démontrent : les entreprises qui promeuvent et réussissent l’égalité femmes-hommes sont plus rentables que les autres.
Cela vous choque ? Vous estimez que la seule motivation égalitariste devrait suffire ? Les années d’immobilisme pourtant prouvent le contraire. Dans le monde de l’entreprise, les arguments qui mettent en évidence les gains à attendre de la mixité sont bien plus convaincants.
Au-delà du féminisme, le dirigeant doit s’assurer que son entreprise reflète la société dans sa diversité, pour des raisons adossées au business, afin de concerner une large partie de la population. Des différences de toutes sortes doivent se retrouver dans son organisation, des femmes et des hommes, des ethnies diverses, des sexualités diverses, des âge divers.
Comme pour tout changement, le chantier est impressionnant, car il remet en cause toutes les strates organisationnelles et chamboulent profondément l’entreprise. Il ne passe pas par de simples réseaux de femmes encouragés par la direction, surtout quand ils ne sont pas mixtes. Il ne passe pas non plus par les hochets cosmétiques des conciergeries ou des assistants personnels qui ne sont d’aucune utilité lorsqu’un enfant est malade et que sa mère, et non son père, reste à la maison.
Le changement doit être plus profond et en passer par de nouveaux horaires de travail, pour éviter les réunions tardives qui ne satisfont que les hommes. Il faut également encourager le télétravail pour les hommes comme pour les femmes et limiter les longs déplacements professionnels au strict nécessaire. C’est le prix à payer pour ne plus entendre une femme dire « je passe mon tour » lorsque l’opportunité d’un poste intéressant, mais chronophage, se présente à elle. C’est aussi le prix à payer pour en finir avec le sacrifice dans le couple au profit du conjoint au salaire plus important (l’homme évidemment). C’est enfin le prix à payer pour briser une bonne fois pour toute, le plafond de verre qui empêche les femmes elles-mêmes de s’élever. Un prix élevé ? Ce qui est précieux est cher.