Voilà bientôt un an que le texte est entré en vigueur. Un an que la loi impose le droit à la déconnexion à tous les salariés y compris les cadres. Pour autant, le dirigeant n’est pas soumis à cet article L.3111-2 du code du travail pour une raison simple : il n’est pas tenu de se plier ni à la durée du temps de travail légal, ni à celle des repos en vigueur. Seule obligation pour lui : le respect du droit à la déconnexion de ses collaborateurs. Pas facile de montrer l’exemple quand on demande de faire ce qu’on dit mais pas ce qu’on fait. Comment agir entre son propre rythme de travail, celui des autres, le code du travail et le besoin d’efficacité de l’entreprise ? Avec un minimum de méthode et un maximum de bon sens.
Par Laurent Da Silva
En commençant par rappeler que pour un dirigeant, rester connecté 24/24 est inscrit dans ce qui le constitue et fonde son poste depuis la nuit des temps, des fax jusqu’aux smartphones, des pagers jusqu’à WhatsApp. Cette porosité entre pro et perso a toujours existé pour le dirigeant ; le digital l’exacerbe davantage. Sans doute parce que les outils utilisés ne font qu’un. Le smartphone sur lequel il suit l’actualité de son secteur via Twitter est le même que celui qui lui permet de réserver un week-end. Tout se mélange.
L’écosystème digital fait que le dirigeant est connecté en permanence pendant son temps privé et que sa déconnexion relève davantage d’une discipline de fer. C’est pourquoi la façon dont il choisit d’allouer son temps revêt une importance vitale. Comme un sportif de haut niveau, il doit pouvoir maîtriser son effort, et l’alterner avec des temps de repos afin de s’éviter de tomber dans un blurring nocif. Faire de l’exercice, manger équilibré, bien dormir, etc. Et la déconnexion en fait partie évidemment.
Mais voilà que depuis un an, il doit aussi faciliter les temps de repos de ses collaborateurs. Ce que les congés payés, les durées légales de travail et les RTT faisaient déjà physiquement sont aujourd’hui limités virtuellement. Certains s’en donnent les moyens, sans pour autant obtenir la fin des déviations. Afficher une charte des bonnes pratiques sur les écrans de veille des ordinateurs ? La belle affaire. Couper les serveurs pour bloquer les envois d’emails le soir et les week-ends ? Quel beau geste. Aussi inutile que contournable. Les emails perso (et pas seulement ceux d’Hillary Clinton) comme les groupes WhatsApp sont déjà largement répandus dans nombre d’entreprises du vendredi soir au lundi matin. A ces fausses bonnes idées, préférons le bon sens, même s’il peut, et doit, s’accompagner d’un minimum de technologie.
Ainsi, lors de l’envoi d’un email à une heure non opportune, pourquoi ne pas installer une fenêtre d’alerte s’ouvrant automatiquement et invitant à différer son envoi ? Ces pop-up trouveraient là une véritable utilité. De même, il serait utile de fournir un bilan annuel de sa consommation numérique à chaque salarié. Une bonne manière de s’auto-diagnostiquer et, le cas échéant, de prendre conscience de ses abus. Ces alertes et ces diagnostics visent principalement les mails. Mais plutôt que de chercher à les limiter à certaines heures, ne devrions-nous pas prendre conscience de la place exagérée qu’ils ont pris dans une vie de travail, même durant les heures ouvrées ? Trop de mails ont tué le mail. Les courriels groupés, auxquels chacun se croit obligé de répondre et les mails non lus par milliers ont tué toute réactivité. Entre les exercices de style où chacun y va de sa petite phrase signifiant la même chose que la précédente et les informations perdues à jamais, cette forme de communication a vécu, sauf pour l’envoi de documents ou de notes importantes. Commençons par remettre la parole au centre du travail, et réhabilitons le dialogue de visu. C’est au dirigeant d’impulser cette communication différente. Et lorsqu’elle sera mise en place, admise et utilisée, les besoins de déconnexion seront, en partie, moins critiques.
C’est donc au dirigeant de résoudre les problèmes liés à la déconnexion, lui qui n’a pas à s’y soumettre. A lui de ne pas envoyer le mail de 20 heures du dimanche qui va gâcher la fin de week-end de ses proches collaborateurs. A lui aussi de mettre en place des organisations et des systèmes qui éviteront aux autres d’avoir recours à la connexion hors délais. A lui de faire pour les autres ce dont il n’a pas besoin pour lui-même. Mais n’est-ce pas là l’une des plus honorables responsabilités du dirigeant depuis toujours ?